Interview de Marcel Houdart

Quel âge aviez-vous à la déclaration de guerre ?

15 ans. Je suis né le 29 juin 1924 à Nœux les Mines. 

Quelle était votre adresse ? 

460 rue nationale à Nœux les Mines. 

Exerciez-vous une activité professionnelle ? 

Oui, apprenti chaudronnier soudeur aux Ateliers Centraux des Mines de Nœux . 

Avez vous été mobilisé en 1939 ? 

Non, j'étais trop jeune. 

Etiez-vous engagé politiquement ou syndicalement avant 1939 ? 

Non. 

Quels sentiments avez vous ressenti après la capitulation et l’armistice ? 

Stupeur, honte, immense déception. 

Comment ressentiez vous le régime de Vichy ? 

Au début, de l'indifférence, de l'incompréhension, puis graduellement de l'hostilité. 

Avez vous entendu l’appel du Général de Gaulle ? 

Non, très peu de personnes ont entendu l'appel du Général de Gaulle. Mais les premiers résistants ont commencé à faire du travail. A Nœux , ils ont commencé à couper des lignes téléphoniques. C'était pas grand chose, mais ils n'avaient aucune arme, pas de plastic. Ils ont fait dérailler des trains en déboulonnant les rails. 

Le 11 Novembre, alors que c'était formellement interdit pendant l'occupation les jeunes se sont manifestés à Paris. Ce jour là, les lycéens se sont rendus devant les monuments pour narguer les Allemands, montrer que les Français n'étaient pas vaincus complètement. Ca a mal fini, parce que les Allemands ont arrêté 95 jeunes et fermé les établissements du coin. La jeunesse était au premier rang dans la Résistance. Dans les F.T.P., on était tous des jeunes de 17 à 25 ans 

Quels étaient vos sentiments à ce moment vis-à-vis de De Gaulle ? 

D'abord, méconnaissance, interrogation, puis à partir de 1942, l'espoir et enfin reconnaissance comme chef de la Résistance. Les inscriptions " Vive de Gaulle " ont été aussi nombreuses que " A bas Pétain " ou " Mort à Hitler ". 

Avez vous appartenu à un mouvement de résistance? Si oui, lequel et pourquoi ? 

Il faut dire qu'en 1940, à 15 ans, les possibilités de faire de la Résistance étaient quasiment nulles, d'autant plus qu'on était écrasé, on était couverts de honte par la défaite des troupes Franco-Anglaises contre les Allemands et on ne pensait à faire rien d'autre qu' à subir et à attendre la paix et que les prisonniers de guerre Français (qui étaient 1 800 000) allaient revenir des camps d'Allemagne. Mais cela a duré 5 ans, si bien que, petit à petit, les gens ont formé des groupes de Résistants dans toutes les directions, tous les azimuts, de toutes opinions politiques et c'est comme ça qu'on finissait, un jour où l'autre, par se retrouver, si on était d'accord, dans un mouvement de Résistance. 

Pourquoi on faisait de la Résistance ? 

Quand on est dans un pays pillé, honteux d'être occupés par l'étranger. A l'époque, on était encore sous le coup de la guerre 14-18, nos parents nous inculquaient la revanche, la haine des Allemands... 
Non, c'était pas la haine, mais on n'aimait pas les Allemands, ils étaient venus près d'ici (Lorette ). 
La Résistance, ça vient tout seul. Tous les pays qui ont chez eux quelqu'un qui n'est pas à sa place, qui les occupe, qui les exploite, qui les pille automatiquement, il y a quelque part quelqu'un qui a envie de faire quelque chose, de résister, de tout faire pour que les étrangers s'en aillent, qu'on retrouve notre liberté. La Résistance, c'est pour retrouver sa liberté 

Comment avez-vous intégré ce mouvement ? 

Mon rôle était tout à fait mineur, puisque j'étais un gamin de 18 ans, je n'avais aucune expérience, je ne savais pas manier une arme, ni un explosif, ni rien faire de la guerre, puisque je n'avais jamais été soldat, je ne savais faire que protester et être prêt à faire quelque chose sans savoir ce qui allait m'arriver en m'engageant dans la Résistance. 

A quelle date ? 

Début 1942, avec un copain, j'envisage de m'engager dans l'armée de l'armistice, faible troupe autorisée par nos vainqueurs. Nous comptons gagner l'Afrique du Nord et la France Libre de de Gaulle. Mes parents sont réticents, j'ai besoin de leur accord, car je n'ai pas 18 ans 

Dans quelles circonstances ? 

Je rejoindrai ensuite le groupe FTPF de Nœux . 
On entrait dans la Résistance de certaines façons, c'est à dire que pour entrer dans la Résistance, il ne fallait pas s'adresser à un bureau de recrutement, une agence ou autre chose; il n'y avait absolument rien, c'était du bouche à oreille : on devait avoir un ami dans la Résistance pour que lui même vous en parle et vous demande d'y rentrer selon vos idées, parce que tout le monde n'avait pas envie d'y rentrer, tout le monde ne se sentait concerné par la victoire, la liberté et tout le monde ne se sentait pas prêt à subir les souffrances de l'internement et au peloton d'exécution pour certains. 
C'est un ami qui m'a entendu parler des Allemands. On avait faim : tout était rationné, même dans une région comme la notre où il y avait du charbon dont on manquait : il fallait des tickets de charbon pour en avoir, c'est à dire que les hivers étaient plutôt froids dans nos foyers. Il y avait la privation de beaucoup de liberté, même la liberté de s'amuser parce que j'avais votre âge : à notre âge on aime s'amuser un petit peu quand même, surtout que, à l'époque, on n'allait pas aussi longtemps que vous à l'école donc à partir de 15 ans, pour environ 90 %, on était tout de suite dans le milieu du travail : on devenait apprenti pour les mines, on était donc déjà des salariés, on voulait donc profiter un peu de notre maigre salaire pour s'amuser mais c'était interdit de s'amuser : les cinémas fonctionnaient mais avec des films sélectionnés par les Allemands, des actualités qui nous bourraient le crâne : on y montrait toujours les victoires des Allemands et les défaites des Alliés. On s'insurgeait contre tout ça : les privations, la faim et le manque de douceur : 
Par exemple, vous avez maintenant du chocolat, des bananes, des oranges, quand vous voulez mais pendant l'Occupation plus rien n'arrivait en France et les Allemands nous prenaient le meilleur de ce qu'il y avait dans notre pays mais le pire, c'étaient encore les tickets de pain : on n'avait le droit qu'à une certaine ration de pain. Il y avait une ration de pain, de viande, de matières grasses. Pour la viande, le boucher n'ouvrait qu'une fois par semaine car la ration était tellement petite qu'il la distribuait en une seule journée. Il fallait aussi des tickets pour les pneus de vélo, il fallait des tickets pour les vêtements, pour les chaussures. Il n'y avait que ceux qui faisaient des métiers très pénibles comme le mineur qui avait des petits suppléments. Donc il y avait un ras-le-bol pour beaucoup, il y en a qui subissaient, d'autres protestaient et à force de m' entendre râler contre les Allemands, un homme est venu me voir et m' a dit : 
" Écoute, si tu veux faire quelque chose, tu viens me voir " et j' ai eu un rendez vous chez lui, c' était un garçon de mon quartier. J'y suis allé avec mon frère et un autre camarade et ce garçon nous a initié à ce qu'était la Résistance. 
Cela m'a surpris car c'était un garçon qui avait plutôt l'air d'être un amuseur public, d'un rigolo qui menait une vie de " patachon " et qui se faisait toujours remarquer pas son comportement. On n'aurait jamais cru que c'était un Patriote d'une telle intensité, d'un tel engagement. Quand il nous a parlé de la France, c'était vraiment bouleversant et il a vraiment touché au cœur les garçons qu'il avait en face de lui. Il avait notre âge et il s'était déjà impliqué dans la Résistance depuis quelques temps, car à cette date il y avait déjà 3 ans que les Allemands étaient là. 

Quel type d’actions avez vous commises ? 

Les difficultés étaient innombrables, la Résistance était clandestine. Il y avait d'ailleurs 2 sortes de Résistance : 
Il y avait ceux qui restaient à visage découvert, mais sans être connus, bien entendu, qui faisaient un métier le jour, et la Résistance se faisait la nuit, comme c'était mon cas. D'ailleurs, on allait faire des sabotages, des sorties de propagande, des distributions de tracts, etc... 
Les autres étaient illégaux, des clandestins qui étaient connus des Allemands et pourchassés. Ils se déplaçaient de cache en cache, de planque en planque; des gens les cachaient, ces gens n'étaient pas Résistants mais ils risquaient leur vie en faisant cela. Ces gens avaient le plus mauvais rôle parce qu'ils étaient inconnus, donc ils n'avaient pas de tickets de rationnement et ne pouvaient donc pas manger ni s'habiller. Et tout ça, c'étaient les autres qui leur fournissaient. 
Mon rôle était comme un soldat dans l' armée, un tout petit Résistant. D'ailleurs, c'est toujours moi au départ qui portais soit les armes, soit le plastic, soit la dynamite, parce que les autres étaient armés mais il n' y avait pas assez d' armes pour moi, donc, j' étais le porteur. Au début, quand on commence, on est seul, on a envie de faire quelque chose et on ne réussit pas toujours, ça dépend dans quel métier on travaille, moi, j'avais des possibilités étant dans une équipe de dépannage des Compagnies des Mines de l' époque. Je faisais des déplacements pour le compte des mines, pour réparer, transformer, changer différentes installations de mines de la région, à Nœux , à Hersin, à Barlin, à Labourse. Et en voyageant comme cela, j'avais donc la possibilité de sortir la nuit plus facilement : j'avais un laisser passer, parce que les équipes travaillaient jusqu'à ce que le chantier soit fini, et ensuite, on rentrait chez soi. Donc c'était parfois à 3 ou 4 heures du matin, et il fallait un laisser passer. Lorsque celui-ci a été supprimé, il fallait attendre 7 heures du matin pour pouvoir circuler librement. De par ma fonction, j'avais accès à des installations électriques, des compresseurs, etc. Je faisais donc des petits sabotages incognito en me disant au moins que j'avais fait quelque chose. La Résistance, c'était l'inexpérience et l'imprudence. L'inexpérience d'une mission qu'on avait à faire. Cette mission était à deux volets, c'est à dire que je suis toujours un peu gêné de le dire, parce que j'avoue que quand on est désigné pour exécuter quelqu'un, je crois que... Essayez un peu d'imaginer ce que l'on ressent à 18 ans et que sur la route, vers l'objectif, on nous dit que c'est une femme. Dieu merci, nous l'avons ratée. Donc ça ne m'est pas resté sur la conscience, il faut être un aventurier, un tueur. Nous l'avons ratée car notre chef n'a pas réalisé qu'il pouvait tirer à travers une couverture, car cette femme lui en a lancé une, pendant que lui perdait son temps à lui dire pourquoi elle était condamnée. Elle s'est sauvée dans les champs et la nuit, on n'y voyait absolument rien. Il y a eu une rafale de mitraillette par le camarade qui était posté plus haut, mais sa mitraillette s'enraya, comme ça nous arrivait souvent. On devait, dans la même nuit, faire sauter un pylône, ce qui était plus marrant, et en se rendant au pylône, nous avons croisé ce que nous avons cru être une patrouille allemande: on entendait parler allemand devant, et comme c'était la nuit, en entendant marcher et parler allemand devant nous, nous avons cru que c'était une patrouille allemande. Comme il n'y avait aucun moyen de se cacher, le chef nous a demandé de nous préparer à tirer. Alors moi, j'ai sorti les grenades et je n'avais même pas enlevé les cuillères, c'étaient des grenades de l'Armée Française. Celui qui avait sa mitraillette enrayée ne pouvait faire que taper avec, les 2 autres avaient un revolver et le Chef avait une mitraillette. Ils se sont tenus prêtes à tirer et je peux dire que les gens qui étaient devant nous ont eu de la chance, parce que c'étaient des mineurs Polonais qui remontaient du fond croyant eux aussi à une patrouille allemande, alors ils se sont mis à parler Allemand, parce qu'à l'époque, beaucoup de Polonais parlaient Allemand. On s'est identifiés au dernier moment, il y aurait pu y avoir des morts bêtement. Moi, je me voyais mal lancer mes grenades, avec un peu de chance, j'aurais pu en assommer un! Enfin, nous atteignons le pylône. Nous choisissons un pylône non gardé car un pylône sur deux était gardé par un Français armé d'un fusil de chasse. C'était un énorme pylône et il fallait monter aux membrures pour y attacher les charges de plastic. Le chef m'a désigné avec lui pour aller le faire et lorsqu'il eu fini de placer sa charge et qu'il l'eut allumé, il me passa l'allumette et j'ai allumé ma charge. Il est descendu, je suis descendu et je suis resté accroché aux pics qui sont au pied du pylône pour empêcher les enfants de monter. Je suis resté attaché par le pantalon alors que les 2 charges de plastic brûlaient au dessus de moi. J'ai senti ma mort s'approcher, j'appelai au secours, ce qui a donné l'alerte plus loin, mais ce qui était grave, je l'ai appris plus tard par les archives départementales, c'est que nous étions cernés par toutes les Polices de la Région, parce que la dame qui s'était échappée avait trouvé un téléphone et avait alerté toutes les Polices qui ont barré les routes. Sans le savoir, nous étions encerclés. Quand j'ai crié au secours, les copains qui étaient déjà partis ont eu le courage de revenir alors que les 2 charges allaient exploser. Et finalement, nous avions 1 minute devant nous, on s'est couché dans les labours et ça a sauté. Tout content, nous sommes rentrés chez nous bien que le pylône ne soit pas tombé: on n'a pas placé les charges au bon endroit. 1 charge sur 2 a sauté. Bien sûr, j'ai pensé que c'était la mienne qui n'avait pas sauté, parce que j'étais le plus jeune et c'est en dépouillant les archives départementales de la Police à Arras que j'ai trouvé le compte rendu des gendarmes de l'état des lieux et j'ai vu que c'était ma charge qui avait sauté. Ensuite, on est rentré à travers champs. On en a profité pour faire la leçon à un type qui rentrait en courant. Il avait entendu l'explosion et il courait pour rentrer chez lui, car c'était un gars qui allait voir une femme de prisonnier, et ça, c'était très mal vu à l'époque. Alors on lui a fait la leçon, on lui a mis une mitraillette sur le ventre, il s'est agenouillé et il a juré qu'il n'allait plus jamais le faire. Et après, il a eu des boutons et des furoncles. On est rentré sans savoir que nous étions complètement encerclés, par les champs, comme ça, on est rentré tout bêtement à la maison où mon père m'attendait et m'a dit: "Mon garçon, c'est toujours les petits qui sont arrêtés, tu vas te faire prendre". Il avait raison, c'est souvent les petits qui se font prendre. Le sabotage de la voie ferrée Arras - Béthune, un peu avant le pont qui a sauté par la suite, nous devions faire sauter un train de munitions. J'étais encore le plus jeune de l'équipe, on était un peu plus nombreux, 6 ou 7. On a capturé les gardes voies et pendant ce temps là, le chef allait poser sa charge avec tout un dispositif de retardement pour faire sauter après le passage de la locomotive, pour ne pas tuer le personnel Français qui était obligé de le faire. Alors le train est passé et rien ne s'est produit. On s'est dit: "C'est un coup fourré, il faut rentrer vite", car on avait relâché les gardes voies. Le chef a dit : "Il faut ramasser le plastic qui est sur la voie." Et au moment où on s'en allait vers la voie ferrée, à une centaine de mètres environ, la charge a sauté 30 secondes après, on était dessus. Les Allemands auraient eu le temps de rigoler en disant: "Les terroristes, ils manquent un peu d'expérience". 
Il y a eu un mot d'ordre qui a été lancé pour faire un maquis dans les Ardennes. Au début, l'ordre est venu de se rendre dans les Ardennes pour constituer un maquis juste avant le débarquement. Le 8 Juin 1944, 3 mois avant la Libération en gros. On ne sait même pas d'où est venu l'ordre mais ce sont les compagnies FTP qui ont eu l'ordre de s'y rendre. Barlin n'a pas été concerné mais Hersin l'a été. Nœux a été concerné trop tard pour être dans la tourmente. Les régions de Bruay, Auchel, Marles, Annequin ont été également concernées, convoquées, mobilisées. Le mot d'ordre était de rejoindre les Ardennes avec armes et munitions. Bon, tout le monde n'avait pas une arme mais une fois, on avait découvert un dépôt clandestin. L'idée, c'était de faire un maquis dans les Ardennes pour que les Allemands mettent beaucoup de troupes et pendant ce temps là, ça soulageait les Alliés, en Normandie, ça leur permettait d'avoir plusieurs divisions en moins sur le dos. D'ailleurs, c'est ce qu'a reconnu le Général en chef de l'armée de Libération Nationale Anglo-Américaine Eisenhower, il a dit que la Résistance avait économisé 15 divisions aux Alliés. La Résistance a eu un rôle très important et le maquis des Ardennes, c'était pour ça également. 

Aviez-vous conscience des risques que vous couriez ? 

Quand il y avait une action de sabotage, les difficultés étaient évidentes : Par inexpérience et pour d'autres raisons, parce que sortir de chez soi la nuit était formellement interdit: on pouvait être arrêté soit par une patrouille Allemande, soit par une patrouille française et quand on était arrêté porteur d'armes ou d'explosifs, ou même de tracts, ou même de rien du tout, on était automatiquement déporté en Allemagne. D'ailleurs, chaque fois qu'il y avait un sabotage, la 1ère fois, on était ensemble avec mon frère, mais ayant constaté les risques de sauter avec votre charge ou de vous faire descendre par une patrouille, quand les dangers, - ça m'est rentré dans la cervelle- car c'est un peu ce qui manquait, on était inconscient, il faut le dire, quand on a 18 ans, on ne pense pas, on ne calcule pas, on ne pèse pas tous les risques, on ne pense pas à nos parents, nos enfants, nos femmes, on est un peu plus libre, mais on ne réfléchit pas assez, on est inconscient. Chaque fois qu'il y avait un sabotage, c'était mon frère ou moi, mais pas les deux, de façon à ce qu'il reste toujours un des deux. Les parents s'apercevaient petit à petit que nous sortions la nuit, mais les mères ont des intuitions, il y avait du changement en nous, on devenait des hommes et elle s'en apercevait mais elle ne pouvait rien dire contre notre engagement. Le père disait: "Vous n'êtes pas des soldats, ce n'est pas votre travail". Mais les soldats, ils n'étaient pas là! Les difficultés, ensuite, c'était d'être pourchassé, pas pour mon cas personnel, d'être toujours aux aguets parce que tous les Français n'étaient pas dans la Résistance, surtout au début, à la fin presque tout le monde y était, mais au début; il y avait même des Français contre la Résistance, ils aidaient les Allemands à retrouver les Résistants! C'était à cause du gouvernement que nous avions à l'époque, qui était dirigé par le Maréchal Pétain, qui a créé les milices pour pourchasser les Résistants et qui a envoyé 600.000 jeunes Français travailler dans les usines Allemandes, ce qui permettait de libérer autant de soldats pour aller à la guerre. Donc on était aussi traqué par la Police Française. Tous ceux qui étaient pris avec une arme ou des munitions étaient automatiquement fusillés. Le gars qui m'avait engagé dans la Résistance, dont je vous avais parlé tout à l'heure, Alexandre DHESSE, était parmi ceux là. Il a été pris les armes à la main et a été fusillé le 18 Juin à Arras. Il y a une rue qui porte son nom maintenant, à Hersin. Les autres qui ont été capturés dans les environs ou qui n'avaient rien à faire dans le coin ont été soupçonnés d'appartenir au maquis, bien qu'ils aient caché leurs armes. Ils ont été déportés, c'est à dire qu'ils sont partis avec moi dans le train de Loos, ils sont partis mourir, 118 déportés. Sur les 118, 79 sont morts en déportation. Ca fait quand même un lourd bilan. Parmi eux, il n'y avait pratiquement pas d'adultes: le plus vieux avait 25 ans. Les fossés de la citadelle d'Arras servaient de lieu d'exécution pour tous les gens qui étaient condamnés à mort par les Nazis. Sur les murs des fossés, il y a des plaques, une plaque pour chaque fusillé, le nom, l'âge, la profession. Sur les 206 fusillés, il y en a au moins 170 qui avaient 20 ou 21 ans. C'est une chose à mettre à l'actif de la jeunesse. Elle a subi la répression d'une manière très importante. 

Avez-vous été arrêté(e) ? 

Oui, le 16 juin 1944 par la Gestapo de Douai, sur les indications d'un brigadier de police français, un "Pétain". Ce dernier, qui a guidé les Allemands chez leurs victimes eut, peu après la guerre à répondre de sa collaboration spontanée et de son aide pour les arrestations. Muté à Wasquehal et monté en grade, il fut jugé, hors de la présence des victimes et condamné à l'indignité nationale! Confrontés avec lui, il n'avait pas daigné nous regarder. 

Avez-vous subi des tortures ? 

Oui, plusieurs fois. Notamment dans l'antre de la Gestapo, à Douai, rue St Jean. Trois hommes et un chien d'une race que je ne supporterai plus jamais, le berger allemand, m'attendaient. Ils étaient chacun d'un côté qui tapaient ensemble alternativement avec le nerf de bœuf. Alors les premiers coups évidemment ça fait mal; après, ça devient insupportable. Les "boches" n'ont rien eu de notre part: ni noms, ni armes. 

Avez-vous été condamné ? 

Non, le départ du "Train de Loos" a empêché les jugements prévus à Loos mais cela aurait été sans doute la peine de mort.

Avez vous été déporté ? 

Oui 

Pour quel motif ? 

Convaincu de sabotages, attaque à "main armée", tentative d'exécution d'agent ennemi. 

Quel fut ou quels furent le(s) lieu(x) de déportation ? 

J'ai d'abord été dirigé sur la prison de Cuincy-les-Douai (du 16 juin au 19 juillet 1944), puis celle de Loos (19 juillet au 1er septembre 1944), cellule 51, quartier St Bernard. Je suis déporté vers l'Allemagne le 1er septembre 1944 par le "dernier train de Loos" et j'arrive le 7 septembre à Sachsenhausen où je reste jusqu'au 22 avril. Le camp est évacué en une "marche de la mort" : 11 jours, 240 km, 30.000 au départ, 18.000 survivants à l'arrivée. Laissé pour mort le 2 mai à la jonction des fronts américains et soviétiques. Des prisonniers français libérés me sauveront. 

Combien de temps ? 

Un peu moins de 9 mois. 

A quel âge ? 

20 ans. 

Quel a été le mode d’arrestation ? 

La Gestapo de Douai.

Est-ce que d’autres membres de votre famille ont été déportés ? 

Oui, mon frère Jean âgé de 23 ans. 

Avez vous tenté de vous évader ? 

Nous y avons effectivement pensé dans le train, la nuit du 1er au 2 septembre. Trois tendances étaient en présence : les indifférents, démoralisés, trop abattus, trop vieux, ou trop malades, puis des opposants farouches, décidés à empêcher toute fuite, craignant les représailles promises par les S.S. Enfin une douzaine, dont mon frère et moi-même, décidés à tenter l'aventure. Mettant à profit un ralentissement dans une courbe, un premier groupe de quatre saute rapidement, un pont survenant un autre camarade saute un peu plus loin, sans réaction des sentinelles qui somnolent sans doute. Notre groupe avait protégé le départ des premiers, nous devons faire face aux opposants plus nombreux maintenant qui réussissent à repousser la porte et à la maintenir fermement, formant barrage à toute nouvelle tentative. Des coups sont échangés entre nous, c'est un comble. Quelques minutes plus tard, des rafales de mitraillettes crépitent, le train s'arrête brutalement et les hurlements des S.S. nous font craindre le pire. Nouvelle vérification des portes. Cette fois, ils constatent le déverrouillage de la nôtre. Il n'y eut pas de représailles; on sait maintenant que l'officier responsable du train avait donné l'ordre formel d'amener le convoi au complet à Cologne. 

Comment s'est passé le transport ? 

Le Vendredi 1er septembre 1944, grand branle-bas. Les gardiens frappent à toutes les cellules et appellent des noms. On nous amène en fourgon cellulaire à la gare de Tourcoing. Les quais sont entourés par une compagnie de S.S., des mitrailleuses sont en batterie, braquée sur un convoi de wagons à bestiaux. On s'est retrouvé à plus de cent dans un wagon, dans les wagons qui avaient servi au transport de de ciment et de minerais c'étaient les derniers wagons. Ils ont entassé tout ce qu'ils ont pu. La Croix Rouge essayait de faire parvenir des colis. Elle a réussi dans certains wagons à donner des colis de vivres... Certains en ont eu beaucoup trop et nous, on a eu quelques morceaux de sucre et quelques biscuits, mais avec la soif... c'était impossible d'avaler quoi que ce soit. Il y avait du ciment plein les parois et il n'y avait que deux petits volets de douane, deux petites lucarnes quand les portes ont été fermées, pour respirer... Pour les besoins, il n'y avait rien, il n'y avait pas de récipient avec de l'eau, absolument rien. On s'est dit "On ne va pas aller loin, on va essayer de tenir le coup". Nous étions tellement serrés que nous ne pouvions pas nous baisser, pas nous asseoir... Des gens s'écroulaient, des gens hurlaient, des gens insultaient les autres, des gens ne disaient plus rien, parce qu'ils ne pouvaient plus rien dire,... ils perdaient connaissance ... d'autres étaient pris de folie, temporaire ou définitive... 

Vous êtes partis le 1er septembre 1944, à quelques jours de la Libération de la Zone Interdite. La Résistance n'aurait-elle pu s'opposer à ce dernier convoi de déportés ? 

Il apparaît que des projets de libération des prisonniers, soit par attaque de la prison, soit par blocage du convoi aient été envisagées. Dans plusieurs ouvrages édités depuis l'époque, on parle d'une possible opération vers le 10 août 1944. A cette date, on vient d'arrêter le Commandant de la Garde Mobile Républicaine (G.M.R) Flandres, Adolphe Henry. Or, c'était lui la clef du projet. Il avait obtenu la parole des hommes de la GMR, au service de Pétain, qui gardaient l'extérieur de la prison, de n'opposer qu'un semblant de résistance. De plus les GMR soupçonnés, furent remplacés par des Miliciens français, tous acquis à leurs maîtres allemands. L'attaque de la prison ne put ce dérouler pour ces raisons, mais aussi parce que la Résistance ne disposait pas de l'armement suffisant. Une autre solution fut tentée. Traiter un accord avec les Allemands en vue de libérer les prisonniers. A Paris un tel accord fut conclu entre les autorités d'occupation et le Consulat de Suède. A Lille, une organisation clandestine de la Résistance était en relation avec une haute autorité nazie de Lille, le docteur Karl Schmit. Ce fut aussi un échec. L'ultime solution était une attaque armée du train. Là aussi, fiasco. Le mouvement de résistance concerné n'a pas reçu les armes "en temps opportun". Il restait pourtant le sabotage des voies ferrées. Ce que les Belges ont réussi avec le train de déportés parti le 1er septembre 1944 de Bruxelles, en libérant tous les captifs, pourquoi n'y sommes-nous pas arrivés? Les cheminots de Tourcoing s'étaient mis en grève comme tout le monde, répondant aux mots d'ordre de la Résistance. Il n'y avait pas une loco pour tirer ce train. Il a fallu l'acharnement d'un professionnel, français de surcroît, pour dénicher une loco face au dépôt de Flers-Roubaix et la mettre à la disposition des Allemands, en cinq heures de temps. Le destin, la vie ou la mort des 1250 déportés venait de se jouer. Quant à la résistance, elle doit faire son Mea Culpa ! 

Quelle a été votre première impression en arrivant dans le camp? 

Le 7 septembre, le convoi s'arrête une dernière fois. Sitôt les portes ouvertes, c'est l'enfer des hurlements et des coups. Formés en colonnes, nous sommes immédiatement entourés d'une garde renforcée par les "Hitler Jugend". Il faut parer les coups qui pleuvent sur nos épaules. La mise en scène est soignée. Les poternes illuminées... Les projecteurs, des ombres, des ombres qui se déplacent bizarrement, les squelettes ambulants dont on se demande si ce sont des zombies, des monstres, ou... des tenues rayées, les gardes qui hurlent, les coups qui tombent de partout, c'est... c'est quelque chose d'affolant... C'est... non... là, on se considère pire qu'un troupeau de bêtes qui est mené à l'abattoir, on se serre les uns contre les autres, on pousse le... le vieux ne bouge pas assez vite pour être à l'abri des coups parce que l'on a vite compris qu'il ne faut surtout pas prendre de coups déterminants... un coup dans les jambes, surtout dans les jambes, un coup à la tête... vous envoyait au four crématoire en quelques jours, quelques heures parfois... parce que si l'on ne pouvait plus travailler, si l'on ne pouvait plus suivre le mouvement, on était liquidé. 

Comment se passait la vie dans le camp ? 

La journée du déporté, c'était, en été, le réveil à 3 heures et demi, le matin; en hiver, 4 heures et demi. Au réveil, les gens étaient écrasés par la fatigue pour la plupart. C'était donc à coups de matraque qu'il fallait sauter des châlits à trois étages, où nous étions à deux, puis à trois sur soixante dix centimètres... voyez comment on pouvait dormir avec des gens souvent malades qui avaient la dysenterie ou autre... il fallait aller en vitesse au Waschraum, c'était ce qu'ils appelaient pompeusement les "lavabos"... il y avait quelques robinets mais à quatre cent pour se laver en une demi-heure, ce n'était pas possible... On essayait d'attraper un peu d'eau au passage, mais une toilette, c'était vraiment impossible, il fallait se retrouver tout de suite devant la baraque. Il y avait l'appel devant la baraque... ensuite on passait sur la grande place, la grande place d'appel et comptage à nouveau... Les kommandos rentraient dans la soirée , vers 6 ou 7 heures et à nouveau l'appel sur la place. Certains ramenaient leurs morts de la journée, dans les charrettes, tous ceux qui étaient morts brutalement d'un seul coup, ou qui avaient été abattus d'un coup de trique... il fallait les compter. Cet appel c'était une forme nouvelle d'extermination... . Parfois on disait: "C'est la pagaille, les Allemands comptent dix fois! C'est pas possible, ils ne savent pas compter", mais c'était voulu pour que les gens restent sur la place d'appel pendant des heures, parfois 3, 4, 5 heures, parfois toute la nuit... Ils cherchaient un bonhomme qu'ils n'avaient pas trouvé ... tous les 40.000 bonhommes restaient dehors, par n'importe quel temps, par le froid, sans avoir mangé, après une journée de travail... pour certains c'était crevant, éreintant... Il y en a qui tombaient, on les emmenait, ceux qui n'étaient pas récupérables... une piqûre de benzine ou le gazage, et voilà... De février à mars 1945, il y a eu 5000 "exterminés" selon les ordres de Himmler à Sachso. 

Quels étaient les rapports entre les déportés ? 

Il y avait une solidarité certaine entre les différentes nationalités mais aussi parfois des antagonismes parce qu'ils n'appartenaient pas à la même formation politique peut-être,... .on ne voyait pas toujours une entente parfaite partout... Il y avait aussi l'animosité d'une nation envers une autre, c'était le cas des Polonais, au début, envers les français, parce qu'ils nous en voulaient de n'être pas allés à leur secours en 1939. 

Quel est votre souvenir le plus marquant ? 

Retrouver mon frère vivant à la mi-avril, alors que son kommando avait été écrasé par les bombardements. 

Comment se sont passés votre libération et votre retour du camp ? 

Le 10 avril 1945 à 14h30, c'est l'alarme dans le kommando Klinker, situé à 6 km du camp de Sachsenhausen. Le bruit caractéristique des bombes larguées jette tout le monde dans les trous. En plein sur le camp, les baraques en bois brûlent, les déportés de nuit brûlent avec, surpris en plein sommeil, puis c'est l'usine qui saute. Les S.S. se sont sauvés à l'extérieur. En 45 minutes plus rien n'est debout. Des déportés en état de choc se retrouvent à l'orée de la forêt. Les rescapés, en colonnes sont ramenés à Sachsenhausen , les morts aussi, pour y être brûlés. Le 16 avril, 250 déportés de Buchenwald arrivent à pied; en 12 jours de marche, 500 environ sont morts sur le bord des routes. Des femmes venant de Ravensbrück sont également arrivées. L'anarchie règne au camp, les kapos, les S.S. sont sur les dents, inquiets, l'arme à la main. Les Allemands prisonniers, verts ou politiques, sont rassemblés et habillés militairement et armés : ils vont nous escorter avec les S.S. Nous nous dirigeons vers le Nord, la Baltique. Vers le troisième ou le quatrième jour de marche, je ne sais plus, les Allemands nous parquent, environ 16.000, dans le bois de Below, l'ont entouré de sentinelles et nous ont laissé à nous-mêmes... Alors là, il y a vraiment eu des scènes de sauvagerie entre nous. On a retrouvé des cadavres qui avaient été amputés de morceaux sur les cuisses. On vivait comme des vraies bêtes. Nous n'avions pas d'abri. Les premiers arrivés avaient fait des huttes de branchages, les autres vivaient dehors. On mangeait des orties, on arrachait l'écorce des arbres, jusqu'à trois mètres. Il n'y avait plus d'écorce aux arbres aux alentours, parce qu'on suçait l'écorce d'arbre. Dimanche 29 avril, il faut repartir, toujours vers le Nord. Les routes sont de plus en plus encombrées par les civils allemands qui fuient devant les armées soviétiques. Nous sommes obligés de nous ranger pour laisser passer les colonnes militaires nazies en déroute. Nous marchons encore ce 2 mai 1945, j'ai du mal à mettre un pied devant l'autre, les abcès, la double hernie, la dysenterie, mon point de côté, mes pieds en sang... Une jeep roule à la lisière du bois de Zappel, peu avant Schwerin... enfin les Américains. La "marche de la mort" que nous venons d'accomplir a laissé un lourd bilan : sur 30.000 environ partis de Sachsenhausen, plus de 12.000 sont tombés en route, assassinés, achevés ou morts d'épuisement. Le 3 mai 1945, je suis hospitalisé à Saxenberg-Lewenberg. J'ai le typhus : la fièvre, la langue gonflée, les ongles noirs. Je pèse alors 35 kilos. On a opéré ma jambe, sans anesthésie, bien sûr. Mes os saillants ont provoqué des escarres, des escarres à 20 ans, comme un vieillard... Le 27 mai, je me sauve, dans un uniforme allemand, de cet hôpital, où je trouvais que l'on mourrait beaucoup trop. L'auto-stop ne marche pas. Il me faudra toute la journée pour gagner la ville distante de 3 kms. Là un GI m'indique le centre d'accueil. Je suis pris en charge aussitôt par des Français. Rapatrié par avion à Lesquin, le 28 mai 1945, je suis de retour le lendemain à Nœux -les-Mines. 

Comment s’est passé votre réinsertion dans la société ? 

A mon retour en France, je crois me rappeler que je n'ai pas eu beaucoup d'émotion. Suis-je devenu insensible? Plutôt de l'hébétude, comme au sortir d'un cauchemar affreux et long. Ma première nuit, je l'ai passée recroquevillé sur le plancher : l'habitude! 
Le 2 janvier 1946, après 6 mois de convalescence, je suis prêt à travailler. Le Directeur du personnel des Houillères Nationales m'avait toujours promis à mon retour, un emploi de dessinateur, n'étant plus apte au métier de chaudronnier. Les temps avaient déjà changé, la "mode" des déportés aussi. Il s'est fait un peu "tirer l'oreille", mais je suis devenu dessinateur industriel quand même! 

Quelles ont été les réactions de vos proches à votre retour du camp ? 

Le Fond-de-Sains, les corons, ma maison: ma mère est là, ma sœur avec son bébé, mon frère aîné; c'est mon père qui est décédé en novembre 1944. Il ne reverra pas ce miracle: sur quatre fils, un prisonnier, deux déportés, tous vivants. En fait, j'anticipe, car Jean ne rentrera que le 10 juin. 

Avez-vous l’impression que les habitants de votre ville ou de votre village vous aient cru, sur la réalité de l’Horreur ? 

Nous n'avons pas beaucoup parlé, notre état expliquait un peu les souffrances et aussi les familles de ceux qui n'étaient pas rentrés n'avaient pas besoin de détails, pas encore... 

Y a-t-il eu, selon vous, plusieurs types de déportés ? plusieurs types de camps ? 

Vous avez entendu parler du problème des Juifs, la Shoah, L'holocauste. Hitler voulait faire disparaître les Juifs de toute l'Europe. Pour commencer, les Français lui ont donné un coup de main par le régime du Maréchal Pétain, c'est à dire qu'il a envoyé ses gendarmes pour arrêter les Juifs, femmes, enfants, malades, pour les envoyer en Allemagne. Et il y a des Français qui ont caché des Juifs. Ces gens là n'étaient pas de la Résistance, mais c'en était une. L'état d'Israël vient de récompenser, il donne le titre de "Juste"à celui qui a sauvé des Juifs. Il y a 1200 Français, ces gens là n'étaient pas de la Résistance... 

Avez-vous eu depuis la Libération un engagement politique ou syndical ? 

Oui, un engagement syndical, à la CGT (Confédération Générale du Travail), puis à FO (Force Ouvrière) et enfin à la CGC (Confédération Générale des Cadres). 

Quel est votre sentiment vis à vis de la représentation actuelle de la déportation ? 

Elle est mieux représentée qu'il y a 30 ans. Elle représente actuellement un rempart, un antidote contre le "SIDA politique", c'est-à-dire les extrémistes. 

Pensez vous qu’il y ait eu une évolution par rapport à l’enseignement de la déportation ? 

Je n'en suis pas sûr. Pourtant le concours scolaire sur la Résistance et la Déportation pour les Collèges et les Lycées devrait être plus incitatif et avoir plus de participants. 

Quel est votre sentiment vis à vis de l’Allemagne ? 

Toujours une vieille peur viscérale avec des "pics" : par exemple lors de la "chute du Mur de Berlin". Un manque de confiance, les lieux de mémoire sont régulièrement vandalisés, alors... 

Comment vivez vous le racisme ? 

Très mal, car il progresse, nourri par les thèses de l’extrême droite jouant sur le chômage et l'insécurité. Il y a des solutions, mais pas celle-là. 

Pensez vous que " la bête est morte " , par rapport aux résurgences actuelles ? 

NON. Merci à Pierre Pierret pour son nouvel album : "La bête n'est pas morte" : il en faudrait beaucoup comme lui. C'est maintenant aux jeunes générations de veiller à colmater ces résurgences nauséabondes. 

En tant que " déporté résistant ", avez vous des regrets ? 

Si c'était à refaire, je me suis déjà posé la question, parce qu'étant donné ce qu'on a subi après... Est ce que j'ai vraiment contribué... si, certainement quelque part... Je ne suis pas un héros, mais enfin quelque part, j'ai posé une pierre et puis toutes les pierres assemblées ont fait qu'il y a eu la Résistance en France. On a montré qu'on n'était pas un peuple de vaincus, prêts à toutes servitudes, à toujours dire oui aux Allemands. On a voulu montrer qu'on avait encore du cœur au ventre et puis qu'on était Français et qu'on voulait redevenir libre. Je ne sais pas, peut être que je résisterais encore. Je crois que oui, mais c'est parce que je suis vivant. Si on interrogeait tous ceux qui sont morts dans les camps de concentration, je crois que ceux là ne recommenceraient pas, c'est payer trop cher. 

Que représente, pour vous, ce témoignage ? 

Il est nécessaire car un témoin est mieux perçu et compris. 

Depuis combien de temps parlez vous de la déportation librement ? 

Depuis que le Front National a gagné des voix. Avant, on le surveillait simplement, maintenant notre témoignage est important... donc depuis 25 ou 30 ans. 

Êtes-vous retourné dans les lieux de votre souffrance ? 

Oui. 

Pourquoi ? 

Pour accompagner les lauréats du Concours Résistance et Déportation du Conseil Général du Pas de Calais. Ce fut une dure expérience ! 

Avez-vous le sentiment d’être allé jusqu’au bout de votre récit ? 

Non, parfois il manque la facilité de parole ou d'écrire, ou de s'exprimer et les mots communs sont impuissants dans certaines situations. 

Quel est le message que vous avez donné à vos enfants, comment l’ont ils pris ? 

Par la guerre, je n'ai pas d'enfants. Du fait de mon invalidité, je n'ai pas pu en adopter. Mais surtout, où je peux, je parle de ces "choses" aux jeunes. J'ai pris la responsabilité d'une bibliothèque M.J.C depuis 28 ans pour en parler et y introduire les ouvrages sur le thème de la Résistance et de la Déportation. Le message est partout bien accueilli par la jeunesse, là où on leur procure et ils sont bien souvent très émus et nous remercient pour notre témoignage.