Seconde Guerre mondiale
par Jean-Paul VISSE
La fin de l’énigme du « train de Loos »
Une enquête minutieuse de l’historien Yves Le Maner met fin à soixante années d’approximations sur l’un des drames de la déportation.
LILLE, le 1er septembre 1944, l’occupant intensifie
ses préparatifs de départ, au loin les explosions se succèdent, les Alliés
ne sont plus qu’à quelques heures de la ville. A Loos, les Allemands évacuent
les détenus du plus important établissement pénitentiaire de la région vers
la gare de Tourcoing où, entassés dans des wagons, ils prennent la direction
du Reich via la Belgique.
Avec ce train qui disparaît en cette fin d’après-midi s’ouvrent l’un des
épisodes les plus dramatiques de la Libération et l’une des énigmes les
plus douloureuses de la déportation. Comment a-t-on pu laisser partir les
meilleurs des enfants du Nord et du Pas-de-Calais alors que l’occupant se
replie ? Qui sont ces résistants et ces otages évanouis dans l’univers
concentrationnaire allemand ?
Chiffres gravés dans le marbre
Lors de leur retour, les survivants se comptent,
estiment, d’après des témoignages, le nombre de wagons ayant quitté
Tourcoing en 1944 et en déduisent le nombre de leurs disparus… sans en avoir
la liste. En 1947, une étude du Comité d’histoire de la Seconde Guerre
mondiale, réalisée sans vérification et jamais publiée, scelle pour près de
soixante ans la « vérité » : « Partis 1 250… ils revinrent 130. »
Cette vérité est même inscrite sur le marbre d’une plaque commémorative
apposée en gare de Tourcoing.
Ces chiffres deviennent intangibles, et les remettre en cause relevait du révisionnisme.
A chaque fois que les historiens tentent de les contester, ils se heurtent aux déportés.
Dans les années 1970, plusieurs offensives au centre desquelles se retrouve le
« train de Loos » aboutissent même à l’enterrement de la publication de la
Statistique nationale de la déportation, tandis que dans la région les
affrontements entre résistants et historiens découragent de toute tentative de
travail de recherche historique.
Il faut un véritable basculement de l’historiographie, l’irruption de la déportation
« raciale » au détriment de la déportation « politique et résistance »,
et, dans le cas qui nous intéresse, l’opiniâtreté de l’historien Yves Le
Maner pour faire accepter des preuves irréfutables sur les déportés du «
train de Loos ». Non seulement il a établi le nombre exact de déportés, mais
il en a identifié une grande partie.
Depuis les années 1970, 250 d’entre eux, utilisés comme main-d’oeuvre à
Cologne avant de rejoindre leurs camarades d’infortune au camp de
Sachsenhausen, étaient connus. Des autres, il ne restait que peu de traces, des
listes incomplètes de déportés établies en 1944 et 1945 par le consul de
Suisse à Lille Fred Huber avaient notamment été conservées dans les archives
fédérales. Quant aux registres de Sachsenhausen, ils avaient été brûlés.
L’un des derniers avatars de la Seconde Guerre allait servir notre enquêteur
: après la chute du Mur de Berlin, la fédération de Russie ouvrait les
archives enlevées en 1945 par l’armée Rouge. Parmi les documents échappés
des flammes du camp allemand, ceux du « train de Loos » : 816 immatriculations
auxquelles il fallait ajouter les hommes morts avant d’entrer à Sachsenhausen,
les évadés lors du transport, etc. au total 870 personnes déportées par le
train de Loos. Soit moins que le nombre « sacré » établi d’après un
calcul empirique, mais si important qu’il fait toujours du « train de Loos »
l’un des plus grands « transports » de la déportation.
Leur parcours
Des historiens s’étaient approchés de cette vérité.
Yves Le Maner va, aujourd’hui, au-delà. Il a identifié ces déportés âgés
de 16 à 71 ans, originaires à 98 % de la région, représentant toutes les
classes sociales, et qui n’auraient jamais dû se retrouver ensemble tant les
motifs de leur arrestation sont divers. Il en publie la liste. Dispersés vers
les kommandos les plus meurtriers, évacuant à partir d’avril 1945 vers les
mouroirs de Bergen-Belsen et Dachau ou le littoral de la Baltique, les deux
tiers des hommes partis de Tourcoing ne survécurent pas à une captivité qui
dura au total huit mois. Seuls 250 revinrent. Aux familles, parfois inquiètes
de cette nouvelle enquête, mais ignorant le devenir des leurs, l’historien a
peut-être apporté un peu d’apaisement : pour 770 détenus, il a retracé
leur parcours dans l’univers concentrationnaire.
Cette remise en cause irréfutable de l’histoire forgée hâtivement dans
l’immédiat après-guerre, mais jamais froide, ne diminue en rien, comme le précise
l’auteur, l’ampleur du drame : « La proportion de morts en déportation
par rapport à l’effectif de départ est exceptionnellement élevée. »
Une nouvelle fois, Yves Le Maner nous livre un ouvrage exemplaire qui lui fait
honneur.
« Le "Train de Loos", le grand drame de la déportation
dans le Nord - Pas-de-Calais », 264 p. Disponible par correspondance auprès
d’Yves Le Maner, BP 284, 62504 Saint-Omer cedex, 19 € (+ 4,27
€ frais de port).
Le ministre
Jean-Paul Delevoye viendra au Mémorial de Loos rendre hommage aux 870 déportés
Douze plaques, comme les douze wagons à bestiaux...
LE 1er septembre
1944, 870 détenus politiques sont évacués de l’établissement
pénitentiaire de Loos vers la gare de Tourcoing. Direction : l’Allemagne
nazie. En avril-mai 1945, il reste moins de 300 survivants.
Depuis la parution, en février, du livre d’Yves Le Maner, Le Train de
Loos (lire ci-dessus), on sait enfin combien étaient ces
déportés. Et même qui ils étaient.
Grâce à deux hommes, ces 870 résistants ou otages des polices nazies, âgés
de 16 à 71 ans, vont enfin avoir un nom, une reconnaissance aux yeux de tous :
James Venture, président de l’Association des rescapés, et André Gustin,
président de l’Association du centre de mémoire de l’abbaye-prison de Loos
(CMAPL), ont fait confectionner douze plaques de bronze sur lesquelles sont
gravés les 870 noms. Douze plaques qui symboliseront les douze wagons à
bestiaux dans lesquels ces victimes de l’idéologie nazie ont été entassées
et qui seront apposées sur le mur du Mémorial du train de Loos, face à la
maison d’arrêt (notre photo).
Cinquante-neuf ans d’attente
« Après cinquante-neuf ans d’attente, les familles vont enfin
pouvoir se recueillir devant ce qui va redonner à chacun une identité, se
réjouit André Gustin. Ces plaques vont permettre à cette tragédie de la
déportation dans le nord de la France de s’inscrire dans les grands drames de
la Seconde Guerre mondiale. » Pour le président du CMAPL, cet événement
« participe à l’indispensable travail de mémoire destiné aux nouvelles
générations ».
Les plaques de bronze portant les noms de ces déportés envoyés à Buchenwald,
Dachau, Bergen-Belsen et autres camps de la mort apposées, une cérémonie aura
lieu le samedi 10 mai à Loos. Jean-Paul Delevoye, ministre de la Fonction
publique, de la Réforme de l’Etat et de l’Aménagement du territoire,
devrait faire le déplacement jusqu’au Mémorial du train de Loos.
Isabelle ELLENDER
Centre de mémoire CMAPL, BP 79, 59373 Loos cedex, tél. 03 20
07 12 12, postes 4266 ou 4297 (répondeurs).
Le
ministre Jean-Paul Delevoye viendra au Mémorial de Loos rendre hommage
aux 870 déportés
Douze plaques, comme les douze wagons à bestiaux...
LE 1er septembre 1944, 870 détenus politiques sont évacués de l’établissement
pénitentiaire de Loos vers la gare de Tourcoing. Direction : l’Allemagne
nazie. En avril-mai 1945, il reste moins de 300 survivants.
Depuis la parution, en février, du livre d’Yves Le Maner, Le Train
de Loos (lire ci-dessus), on sait enfin combien étaient ces
déportés. Et même qui ils étaient.
Grâce à deux hommes, ces 870 résistants ou otages des polices nazies,
âgés de 16 à 71 ans, vont enfin avoir un nom, une reconnaissance aux
yeux de tous :
James Venture, président de l’Association des rescapés, et André
Gustin, président de l’Association du centre de mémoire de l’abbaye-prison
de Loos (CMAPL), ont fait confectionner douze plaques de bronze sur
lesquelles sont gravés les 870 noms. Douze plaques qui symboliseront
les douze wagons à bestiaux dans lesquels ces victimes de l’idéologie
nazie ont été entassées et qui seront apposées sur le mur du
Mémorial du train de Loos, face à la maison d’arrêt (notre
photo).
Cinquante-neuf ans d’attente
« Après cinquante-neuf ans d’attente, les familles vont enfin pouvoir se recueillir devant ce qui va redonner à chacun une identité, se réjouit André Gustin. Ces plaques vont permettre à cette tragédie de la déportation dans le nord de la France de s’inscrire dans les grands drames de la Seconde Guerre mondiale. » Pour le président du CMAPL, cet événement « participe à l’indispensable travail de mémoire destiné aux nouvelles générations ».
Les plaques de bronze portant les noms de ces déportés envoyés à Buchenwald, Dachau, Bergen-Belsen et autres camps de la mort apposées, une cérémonie aura lieu le samedi 10 mai à Loos. Jean-Paul Delevoye, ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l’Etat et de l’Aménagement du territoire, devrait faire le déplacement jusqu’au Mémorial du train de Loos.
Isabelle ELLENDER
Centre de mémoire CMAPL, BP 79, 59373 Loos cedex, tél.
03 20 07 12 12, postes 4266 ou 4297 (répondeurs).